"Emmy ma chérie..." oh, ça commence mal. Très mal. Emmy ma chérie, ça se suit toujours de mots gentiment soufflés de peur de me blesser, mais ça veut toujours dire "tu me fais chier, trouve toi une autre occupation". Alors j'ai haussé un sourcil dédaigneux et j'ai croisé le regard fatigué de mon père. "Tu peux aller donner ce dossier à Isaac ? Il devrait y jeter un oeil." Pas d'explication, surement qu'il pense que je ne comprendrais pas. Je crois qu'il s'agit d'une affaire sur laquelle Isaac travaille actuellement, et mon père à déjà eu affaire à la partie adverse. Le truc inintéressant au possible, en somme.
Papa n'appelle pas Isaac "Isaac" quand il est en face de lui - en fait, ils ne se parlent pas - , mais il sait que c'est l'un de mes amis, alors il se le permet.
Isaac peut bien dire ce qu'il veut de mon assiduité aux potins, il gagne sa vie en connaissant la vie privée des gens. Pour moi, c'est juste une occupation quelconque. Je soupire, roule des yeux et puis obéit. Mon père n'a jamais été doué avec les mots pour rassurer, c'est pour ça qu'il fait un bon avocat. Il tranche, accuse, démonte. L'affection, c'est une poignée de main et un sourire en coin. Sauf les soirs, mais ça en devient de la pitié.
Alors me voilà à déambuler les couloirs du palais de Justice en direction de chez Isaac. Non mais sérieusement, depuis qu'il a commencé à harceler cette pauvre fille, il dort presque là-bas. Effarant.
La potiche de service m'interpelle. Mais si, la fille, là, à l'accueil qui sourit avec ses dents reblanchies et son téléphone en main pour faire croire qu'elle ne fait pas qu'attendre qu'on vienne la voir... Avec des talons hauts et des mini-jupes, dans les blonds platines... secrétaire, voilà. Bref, cette gourdasse n'a visiblement aucun goût pour les couleurs - vraiment, du fluo avec du pastel ? - ni pour les degrés d'importance. Elle sait qui je suis, visiblement, mais ne sait pas quoi faire de moi. Alors je l'ignore, lui passe devant et frappe à la porte du grand Isaac Wright Junior sans lui demander son avis. J'aurais bien ouvert les portes sèchement et en grand pour l'effet de style, mais les portes sont lourdes et j'aurais pu froisser ma veste.
Miss je manque de goût commence à geindre, mais elle se tait bien vite quand son grand patron arrive, me lance un regard faussement las - il se donne un genre, d'ailleurs il a déjà les paupières lourdes ça ne fait qu'empirer son air dépravé, il faudrait que je lui dise à l'occasion -, et me fait entrer à sa suite.
Je lui adresse un sourire angélique et balance mon sac - contenant le dossier - sur le canapé, avant d'y prendre nonchalamment place. "C'est si urgent pour que tu viennes m'interrompre dans mon travail?" Je soupire - gracieusement.
" Bonjour à toi aussi, chéri." J'ai toujours donné des surnoms à mes amis, et Isaac exècre particulièrement celui-là depuis quelques temps. " Tu ne m'offres pas à boire ?" Histoire de faire payer cette bécasse de secrétaire et de la voir courir pour m'apporter une boisson sur ses hauts talons de contrefaçon.